samedi 10 janvier 2015

Je ne me sens pas Charlie, suis-je normale?

Je ne me sens pas Charlie, parce que je ne sais pas ce que ça veut dire.
Retour sur ces derniers jours.

Mercredi 7 janvier, je sors du boulot. J'apprends ce qu'il s'est passé, et je rentre chez moi. Mon copain est triste, mon mur Facebook est envahi de carrés noirs, de statuts, de vidéos, d'articles qui traitent tous du même sujet, qui proclament tous de la même voix, de cette voix du coeur: Je suis Charlie.
Je reçois des chaînes qu'on me demande de faire suivre au nom de la liberté d'expression, au nom des victimes.
Mon copain, la gorge serrée, les yeux battus, en fait suivre une. La France entière est en deuil, triste, unie dans une même douleur.
Et moi je vois tout ça, je n'ose rien dire, parce qu'au fond, je ne ressens rien, et j'en ai honte. Je n'ai pas du tout envie de me proclamer Charlie, je n'ai pas du tout envie d'aller marcher.
Alors je m'interroge: est-ce que je suis insensible? Enfin, je ne ressens rien, non, c'est faux. Je ressens de la compassion envers les familles des victimes pour qui la nouvelle a dû tomber comme un couperet, de la peine pour les victimes en pensant à la peur et l'incompréhension qui ont dû les saisir au moment où leur monde s'est effondré, et un profond malaise pour l'engouement qui s'opère. Je ne comprends pas mon malaise, il reste inexprimable, j'attendrai demain pour comprendre, et en attendant je me tais.

Le lendemain, on me demande de faire une minute de silence, et je m'exécute par bienséance.
Je vois des musulmans s'indigner sur les réseaux sociaux et crier au complot islamophobe. Je vois les carrés noirs proliférer, les chaînes continuer à se répandre, les journaux envahis par la même nouvelle.

Ca y est, j'ai compris ce que je ressentais, et j'ai décidé d'arrêter d'en avoir honte.

Qu'est-ce que c'est, être Charlie?
Est-ce que c'est soutenir les familles des victimes, leur faire savoir qu'on est à leurs côtés et qu'on pense à elles? Alors oui, je suis Charlie.
Est-ce que c'est être triste pour ce qui est arrivé? Alors non, je ne suis pas Charlie. Non, je ne suis pas triste. J'ai de la peine pour les hommes qui sont morts, mais je ne me sens pas plus triste pour ces victimes que pour celles qui sont mortes le même jour au Yemen, ou toutes les victimes de toutes les guerres, de tous les crimes dans l'Histoire de l'Humanité.
Est-ce que c'est être outré pour la menace à la liberté d'expression? Alors non, je ne suis pas Charlie. Parce que pour moi, la liberté d'expression n'a pas été atteinte au cours de ces événements. Ce n'est pas l'Etat qui réprime des idées, ce sont des terroristes qui n'ont pas supporté qu'on se moque de ce en quoi ils croient. Ce n'est pas de la répression, c'est une attaque menée par une bande d'illuminés.

Pour moi, la liberté et la République ne sont pas attaquées. Et pour moi, même si c'est triste -parce que c'est toujours triste quand des gens meurent - c'est aussi grave que tous massacres qui ont régulièrement lieu dans tous les pays du monde, et depuis le début de l'Histoire.

Et ensuite, pourquoi ai-je ressenti ce malaise? Au-delà de la honte que j'ai éprouvée vis-à-vis de mon insensibilité, parce que c'est quand même mal vu, de ne pas être triste, quand tout le monde l'est, il y avait un véritable scepticisme de ma part, une réelle volonté de ne pas participer à ce mouvement. Ne pas se sentir Charlie est une chose, mais ne pas vouloir suivre "au cas où" en est une autre.

En fait, cette effervescence me gêne. J'ai pris conscience même que j'étais un peu énervée après tous ces gens qui étaient si tristes.
Parce que je ne comprends pas cette émotivité si sélective.
Parce que je ne suis pas certaine que ces gens en deuil sur le moment y pensent encore dans un mois.
Parce que je crois qu'il est facile de faire une minute de silence et d'aller marcher.
Parce que je crois que les symboles nous aident à nous arranger avec notre conscience mais ne feront jamais changer les choses.
Parce que j'ai l'impression que la France d'aujourd'hui est régulièrement secouée par des chocs, qu'elle se dresse alors en un corps, pour que tout retombe comme un soufflé aussitôt la pression partie.

Oui, les symboles sont importants, mais je crois que prendre acte des événements et chercher à faire en sorte que ça ne se reproduise plus dans l'avenir l'est encore plus. Oui, être triste pour les victimes montre que nous sommes des êtres humains sensibles et unis dans l'adversité, mais ne l'être que pendant deux semaines puis oublier sans chercher à agir ensuite tend à prouver que notre petit confort nous intéresse encore plus. Et dans ce cas, encore une fois, pourquoi n'être triste que pour cette situation là? Est-ce qu'il n'y a pas des catastrophes aussi dramatiques dans le monde?
En fait, à vrai dire, je trouve cette agitation, ce deuil hypocrites. Voilà pourquoi je suis mal à l'aise.

Et à quel point ces marches, et cette phrase qui se trouve sur toutes les lèvres ont valeur unificatrice? J'ai l'impression que leurs significations sont assez confuses, diffuses, que chacun a la sienne.


J'ai encore d'autres choses à dire, mais cet article est déjà assez long, alors ça sera pour une prochaine fois.

Yeah, bisous à tous!

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